Une
brève leçon sur le raisonnement derrière la
restriction de l’accès à l’avortement au
Nouveau-Brunswick, son histoire et son caractère
inconstitutionnel.
par Beth Lyons
(Publié antérieurement sur HereNB.com
le 14 février 2008)
Un panneau d’affichage a récemment suscité une
polémique parce qu’il montrait une femme enlaçant
tendrement un ventre très rond tout en étant
accompagné l’inscription suivante : « Neuf mois. La
durée pendant laquelle l’avortement est permis au Canada.
L’avortement : avons-nous été trop loin? »
Affiché à la vue de tous à Moncton et
rejeté à Fredericton, ce panneau d’affichage a
suscité des inquiétudes quant au bon goût, la
liberté d’expression, et le contrôle que peut avoir le
privé sur les espaces publics. Cependant, plutôt que
d’aborder ces points, j’aimerais répondre directement à
la question qui est posée.
Le panneau d’affichage, affiché à travers le Canada,
implique que les avortements sont faciles à obtenir jusqu’au
moment de l’accouchement. En fait, 90% des avortements canadiens ont
lieu pendant le premier trimestre, les avortements tardifs étant
rares, difficiles à obtenir, et effectués principalement
en cas d’urgence.
Par contre, au Nouveau-Brunswick, il est difficile d’obtenir un
avortement peu importe la progression de la grossesse, car la province
a l’accès le plus restreint du pays après
l’Île-du-Prince-Édouard, où l’avortement est
complètement inaccessible.
Techniquement, il est vrai qu’il n’y a aucune restriction légale
à l’avortement. En 1988, la Cour suprême a affirmé
l’autonomie corporelle de la femme et a établi la
légalité de l’avortement comme faisant partie du droit
constitutionnel de la femme à la sécurité :
« Forcer une femme, sous la menace de sanction criminelle,
à mener le fœtus à terme, à moins qu’elle ne
remplisse certains critères indépendants de ses propres
priorités et aspirations, est une ingérence profonde
à l’égard de son corps et donc une atteinte à la
sécurité de sa personne ».
Cette déclaration entérine l’autodétermination de
la femme au niveau de la reproduction. Afin de donner un sens à
ce droit, la Loi canadienne sur la santé stipule que
l’avortement doit être disponible et couvert par
l’assurance-maladie. Après tout, la légalité sans
l’accès ne représenterait que de belles paroles.
Le gouvernement du N.-B. est conscient de l’importance de
l’accès – c’est à partir de cet angle que les droits des
femmes ont été minés depuis presque deux
décennies. En 1989, le gouvernement provincial a mis en pratique
une politique selon laquelle tout avortement financé par les
fonds publics devait être jugé nécessaire pour des
raisons médicales par deux médecins, et être
effectué dans un hôpital par un gynécologue. Ces
exigences sont inconstitutionnelles et, en tant que politique
provinciale, n’ont jamais été soumises à un vote.
De plus, seulement deux médecins, dans des hôpitaux dont
le nom n’est pas divulgué, effectuent des avortements.
Ceux qui ne peuvent obtenir les références
nécessaires doivent se tourner vers la clinique Morgentaler de
Fredericton, qui effectue des avortements jusqu’à la 16e semaine
pour un coût qui varie entre 550$ et 750$. Le gouvernement du
N.-B., cependant, refuse de rembourser la facture, alors que toutes les
autres provinces couvrent une partie des coûts des avortements
faits en clinique privée. Le Dr Henry Morgentaler,
défenseur des droits reproductifs de longue date et fondateur de
la clinique, conteste devant les tribunaux cette politique du
gouvernement du N.-B. La Couronne soutient que, parce qu’il est un
homme, Morgentaler n’a aucun statut juridique dans un dossier qui
concerne les droits reproductifs des femmes (mais puisque le
gouvernement lui-même est largement constitué d’hommes,
leur propre logique leur enlèverait le droit de limiter les
droits reproductifs des femmes). Jusqu’à ce jour, la cour n’a
toujours pas décidé si le dossier serait entendu.
En réalité, l’hôpital et la clinique Morgentaler ne
sont pas des options envisageables pour plusieurs femmes qui
recherchent un accès rapide et abordable à l’avortement.
L’inaccessibilité des services d’avortement ne veut pas dire que
les femmes ne mettent pas fin à leurs grossesses; elles sont
plutôt forcées de le faire de manière
risquée. L’accès restreint ne fait pas que traumatiser
les femmes et miner leurs droits – il les tue.
Tuer. Voilà le mot qui est au centre du débat, n’est-ce
pas? Nous nous acharnons à déterminer si tuer un fœtus,
c’est tuer une personne. Plusieurs diront que oui, et ainsi les droits
reproductifs des femmes se limiteraient au choix d’avoir des relations
sexuelles ou non, et d’utiliser des méthodes de contraception,
pas plus. Nous vivons dans une culture où la sexualité
est une monnaie d’échange, où les relations peuvent
être abusives, où des viols sont perpétrés,
où plusieurs polices d’assurance-maladie de base remboursent le
viagra mais pas la pilule, où l’éducation sexuelle se
limite au dogme de l’abstinence, et ainsi de suite. Les femmes tombent
enceintes dans des circonstances tragiques et mondaines, mais d’une
manière ou d’une autre, les décisions qui s’en suivent se
font de façon privée.
Voilà où se situe le débat : il ne s’agit pas de
décider à quel moment la vie débute, mais
plutôt de permettre à chaque femme de répondre
à cette question par elle-même. Il s’agit de
conférer aux femmes un droit de la personne fondamental, celui
de l’autodétermination. Les politiques de restriction à
l’accès sont la preuve d’une attitude paternaliste qui
suggère que les femmes sont incapables de prendre des
décisions par elles-mêmes et qu’elles ne comprennent pas
l’importance de leur potentiel de reproduction. Il est
inquiétant de savoir que notre gouvernement ne se sent pas
à l’aise avec la notion d’avortement, mais qu’il se sent capable
de forcer les femmes à mener des grossesses non
désirées à terme. C’est ce danger que la Cour
suprême a reconnu et dont elle a voulu protéger les femmes
en leur donnant le droit de choisir. Malheureusement, la misogynie du
N.-B. supplante la Cour suprême.
Ainsi, ce panneau d’affiche m’offusque. Non pas à cause de sa
rhétorique anti-choix, mais parce que ses données
induisent en erreur.
Cette affiche m’offusque parce qu’elle tente de paraître
compréhensive en impliquant que les avortements pourraient
être raisonnables si seulement ils étaient
effectués plus tôt dans la grossesse (un paradoxe moral
assez odieux). Elle m’offusque parce qu’elle prétend poser une
question tout en suscitant une réponse émotive en
juxtaposant l’« avortement » et une grossesse
avancée. Mais plus encore, elle m’offusque en s’adressant
à des communautés d’une manière à la fois
insultante et paternaliste, manipulatrice, et trompeuse – soit de la
même façon que la politique provinciale d’accès
traite les femmes du N.-B.
Traduit par Nathalie Batraville